Vacances et dissimulation de la douleur

À l’ère des images lustrées et des publications soigneusement sélectionnées, les vacances ne sont plus, pour beaucoup, une simple pause. Elles se sont transformées en une mise en scène derrière laquelle se cachent souvent une fatigue enfouie, une angoisse contenue, voire une blessure non cicatrisée.
Nous quittons les lieux à la recherche du repos, mais il nous arrive souvent de ne jamais vraiment nous quitter nous-mêmes. Nous voyageons, sourions, partageons de beaux moments, alors que la vérité peut être tout autre : une fuite d’une réalité oppressante, une quête de validation ou une tentative de se convaincre que tout va bien.

Cet article n’est pas un appel à renoncer au voyage, mais plutôt une invitation à le comprendre autrement. À le reconnecter au véritable repos, et non à la représentation sociale ou à la dissimulation des maux de notre société.

Un phénomène préoccupant prend de l’ampleur chaque année : les vacances ne sont plus guidées par le besoin de repos, mais par la fièvre de l’imitation et la course à la reconnaissance. Elles ne sont plus un divertissement ni un ressourcement, mais un fardeau social déguisé, qui s’infiltre dans les familles sous l’apparence d’un moment de détente, alors qu’il n’est, en réalité, qu’un épuisement financier, une tension mentale, et un frein au développement économique du pays.

Dans des sociétés où les liens restent tissés comme les fils d’un vieux tapis, les vacances à l’étranger deviennent bien plus qu’une décision anodine. C’est un rituel social sensible, où chaque mot est pesé, chaque destination mesurée. Une famille aisée annonce son départ pour une capitale scintillante, et derrière elle, d’autres s’élancent – sans en avoir les moyens – simplement pour éviter la question gênante : « Où passerez-vous vos vacances ? »
Ainsi, sans le vouloir, cette compétition silencieuse pousse des familles entières vers des choix qui dépassent leurs capacités, non par amour du voyage, mais par crainte du jugement ou par désir d’une image sociale construite. Dans cette frénésie, les équilibres vacillent, les décisions se fragilisent, et la stabilité s’effrite. L’homme simple s’épuise, tiraillé entre les obligations familiales et la pression des apparences. Il devient prisonnier du regard des autres et otage de saisons d’ostentation.
Certaines femmes prennent alors les rênes non pas par esprit de partenariat, mais sous l’étendard du « statut social » et de « l’image publique » à préserver, même au prix de la stabilité et du réalisme.

Ainsi, les vacances se métamorphosent, de moments de repos et de lien, en un miroir des illusions sociales, plus coûteuses qu’on ne peut se permettre, laissant des traces profondes dans les esprits et dans les relations.

Mais tout cela ne va-t-il pas à l’encontre de l’essence même du repos ? N’est-ce pas un déni de notre réalité économique et sociale ?
Ne sommes-nous pas appelés à redéfinir le concept de vacances d’été non pas selon le lieu, mais selon la valeur et le sens ?

Le pays mérite nos vacances

Dans un pays riche en sites naturels splendides – plages, montagnes, déserts, oasis – et doté d’un patrimoine culturel foisonnant, des millions en devises sont dilapidés à l’étranger chaque année au nom de la « détente », alors que cet argent pourrait faire une réelle différence ici, chez nous.

Le tourisme intérieur n’a rien à envier au voyage à l’étranger. Il est même un choix patriotique noble aux effets multiples :

Effet économique direct : dépenser localement stimule l’économie nationale, dynamise les secteurs du transport, de l’hôtellerie, de la restauration, de l’artisanat, et offre des emplois saisonniers à des centaines de jeunes et de familles à revenus modestes.

Effet social et humain : lorsqu’une famille choisit de passer ses vacances dans le pays, elle contribue indirectement à une redistribution des richesses et apporte de la joie à beaucoup : chauffeurs de taxi, vendeurs de menthe, laitiers, hôteliers… Un bienfait continu qui nourrit, redonne vie aux lieux, et ravive l’espoir.

Effet culturel et éducatif : découvrir son propre pays, le parcourir, raconter ses histoires à ses enfants, c’est renforcer l’appartenance, apprécier la beauté intérieure que ne sauront jamais offrir les capitales lointaines, si fascinantes soient-elles.

Un appel à rééquilibrer les choses

Le vrai repos ne se trouve pas dans le luxe des hôtels ou la vue depuis une piscine, mais dans la paix intérieure, la sincérité de l’intention, et la capacité à être en harmonie avec soi-même.
Nous avons aujourd’hui besoin d’un discours qui nous libère de l’aliénation intérieure, qui cesse de courir derrière l’éclat des villes étrangères, et qui nous ramène vers ce qui est plus proche, plus vrai :
l’ombre paisible des palmiers, l’odeur de la viande grillée au feu de bois, et les rires des grands-mères résonnant dans les cours en terre battue de notre enfance.

Nous avons besoin d’un discours qui redonne aux vacances nationales leur sens pur : non comme une fuite des racines, mais comme une opportunité de s’y reconnecter.
Un discours qui rappelle que les vacances sont un temps de rapprochement, d’enracinement, de transmission de l’amour du pays – et non une occasion de gaspiller de l’argent dans l’exil ostentatoire.
Un discours qui ne cherche pas le repos à l’étranger, mais le fabrique à partir de la chaleur de l’intérieur.

Que les savants sincères, les imams fidèles, jouent alors le rôle des prophètes dans ce temps d’oubli.
Qu’ils rappellent que la bénédiction réside dans la proximité, dans le don et non dans le luxe, qu’un morceau de pain qui rassasie un affamé sur ta terre vaut mieux que des banquets dressés sous des lumières qui ignorent ton nom.
Qu’ils rappellent que dans chaque richesse se trouve un droit pour le nécessiteux, et que le luxe injustifié est une forme d’injustice, non de bien-être.

Redonnons aux vacances leur vraie valeur : non comme un luxe saisonnier, mais comme une parenthèse spirituelle et nationale.
Réparons-y notre lien à la terre, racontons à nos enfants ce que faisaient leurs aïeux sur ce sol merveilleux,
et offrons à la patrie la place qu’elle mérite dans nos plus beaux jours –
plutôt que de gaspiller nos ressources sur les plages des autres et priver les pauvres silencieux des miettes de pain,
non par réelle nécessité, mais pour une seule chose :
qu’on dise de nous “Il a dépensé, voyagé, acheté, et il est revenu.”

Mes salutations respectueuses.

Didi Mohamed

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